2020-10-29

Efficient, accessible et éthique : les trois dimensions du Web écoresponsable

Julien Wilhelm

Lorsque je me suis engagé dans le déploiement du Numérique Responsable, je dois reconnaître que j'étais loin d'imaginer l'écho que pourrait avoir mon travail. Garder ses opinions pour soi est autrement différent que de les affirmer haut et fort et de voir d'autres s'y rallier. D'une logique qui me semblait autrefois absurde, j'en suis passé à une autre qui selon toute vraisemblance peut appeler à la réflexion.

J'aimerais persévérer en ce sens. Partager pourquoi, selon moi, le Web se doit d'être à la fois efficient, accessible et éthique pour être qualifié d'écoresponsable.

Plus qu'une simple vision idéaliste, ce sont des constats, la logique et le pragmatisme que je défends aujourd'hui pour étoffer l'identité du Numérique Responsable.

  1. Web écoresponsable : des objectifs très ambitieux
  2. Web écoresponsable : le cas collatéral de l'accessibilité
  3. Web écoresponsable : une dimension éthique à considérer

1. Web écoresponsable : des objectifs très ambitieux

Des objectifs reconnus...

Pour moi, développeur web écoresponsable, l'objectif est avant tout de limiter la consommation en données et en énergie des services numériques que je conçois. Certains affirmeront que c'est peu, que l'impact environnemental du Numérique est au plus fort à la production des terminaux, soit bien en amont des usages dont je cherche à réduire la charge. C'est la vérité. Mais d'un, il n'est pas d'effort vain, de deux, les industriels produisent en réponse à la demande.

Or, justement, cette demande est-elle fondée ?

...Aux objectifs plus ambitieux

Quatre contributeurs à la demande :

  • La publicité, qui nous incite encore et toujours à renouveler nos équipements sur la base d'arguments discutables.
  • La dégradation des performances desdits équipements, qui est autant de notre fait que de la responsabilité des éditeurs de services et logiciels que nous utilisons.
  • Les pannes et casses matérielles.
  • La perte ou le vol.

Il y aurait beaucoup à dire sur le rôle tenu par le marketing dans notre course individuelle à l'armement technologique (point 1), sur notre incapacité réelle à faire durer notre matériel (point 3) et sur ces tristes réalités sur lesquelles nous sommes, hélas, parfois impuissants (point 4). Afin d'éviter tout hors sujet, focalisons-nous sur le vieillissement de nos équipements numériques (point 2), sur lequel utilisateurs et spécialistes de la conception Web écoresponsable peuvent agir.

Dans un monde parfait, seules la casse d'un équipement et l'impossibilité de sa réparation justifient un renouvellement. Qui n'a jamais changé d'ordinateur, de tablette ou de smartphone sous prétexte que ce dernier était devenu lent ?

Changer est une facilité que l'on encourage, et c'est bien dommage ! À l'exception de cas isolés d'obsolescence programmée ou de la question délicate des batteries (qui sont remplaçables), ces ralentissements sont de source logicielle. En clair : rien, absolument rien n'est cassé sur le plan matériel. Si l'on s'en donne les moyens, il est possible de restaurer les performances initiales du produit.

Découvrons maintenant quelques causes probables liées à l'asphyxie d'un équipement numérique (liste non exhaustive) :

  • A : Installations et configurations hasardeuses, utilisation inappropriée, espaces de stockage saturés, infections diverses...
  • B : Services installés / utilisés de plus en plus gourmands.
  • C : Le cumul des causes A et de B.

Le point A mériterait son propre article, car, oui, notre culpabilité est plus souvent avérée que nous ne le pensons lorsque nos équipements numériques commencent à peiner sans raison apparente.

Que dire du point B, qui nous ramène à notre sujet principal ?

Les éditeurs de services numériques traditionnels produisent des offres, mais pour différentes raisons (facilités de développement, recherche de productivité, méconnaissance...), qu'ils subissent parfois, la question de l'efficience est éludée. L'on se raccroche à la puissance des équipements pour compenser les lacunes techniques résultant du travail fourni. Ce qui suffit dans l'ensemble, parce que la technologie entretient une avance confortable sur les besoins exprimés. Le revers de la médaille est tout sauf anodin : ces services surconsomment et précipitent le déclin de chaque génération d'équipements. Ils confortent l'idée que nous avons à nous sur équiper pour être en mesure de les utiliser alors que ce sont eux qui doivent être rendus plus facilement exploitables par les configurations modestes.

Si tous les éditeurs de services numériques visaient la sobriété fonctionnelle ou s'efforçaient de limiter l'embonpoint de leurs produits, les prérequis techniques propres à chacun d'eux s'en trouveraient abaissés et nos équipements resteraient plus longtemps dans la course. Nous éliminerions un facteur important de la demande.

C'est en tout cas ce à quoi j'aspire sur le long terme quand je promeus la conception de services numériques respectueux de l'environnement.

2. Web écoresponsable : le cas collatéral de l'accessibilité

L'accessibilité Web, c'est permettre à un individu en situation de handicap d'interagir de façon opérationnelle avec un service en ligne.

Deux points importants que l'on tend à oublier autour du handicap :

  • Il en existe de nombreuses formes, de sévérités différentes.
  • Nous pouvons tous être touchés à un ou plusieurs moments de notre vie.

Déculpabilisons d'ailleurs un peu la scène du développement Web : il existe tant de formes de handicap différentes qu'il est impossible d'anticiper les difficultés rencontrées par chacune d'elles lors de l'exploitation d'un service en ligne. Nous (développeurs) avons déjà du mal à nous préoccuper correctement de tous les contextes utilisateur qui nous sont évidents. Il serait prétentieux d'affirmer couvrir ceux qui nous restent obscurs.

La preuve : l'accessibilité Web est un métier. Une spécialité à part entière du projet Web, au même titre que la nôtre.

J'ignore qu'elle est la cause immédiate de ce rapprochement fréquent entre écoresponsabilité et accessibilité. Mon humble avis est que la sobriété numérique est l'une des thématiques fortes du Numérique Responsable, et que l'accessibilité en est une autre. Il pourrait donc avant tout s'agir d'un enjeu indirect autour duquel, nous, green développeurs, avons fait le choix de nous engager. Ce qui n'est pas dénué de sens, parce qu'en œuvrant pour réduire les prérequis techniques ou les débits de connexion nécessaires à l'exploitation de services en lignes, nous nous battons déjà pour réduire la fracture numérique, que des problèmes d'accessibilité sont eux aussi susceptibles d'alimenter. L'inclusion nous est chère ; il aurait été surprenant de la réserver à certains. A plus forte raison quand nous avons des facilités pour l'ouvrir à d'autres.

Soutenu par les WCAG (Web Content Accessibility Guidelines), le Web d'aujourd'hui est armé pour subvenir aux besoins élémentaires des usagers en matière d'accessibilité. HTML(5) dispose par ailleurs d'éléments sémantiques forts et structurant qui, utilisés à bon escient, peuvent retranscrire l'expérience de navigation à ceux qui en ont besoin, de la façon dont ils en ont besoin.

Sans même user d'ARIA.

ARIA, pour Accessible Rich Internet Application, est une gamme d'attributs HTML spécifiques à l'accessibilité visant à renforcer davantage encore le balisage du code source, notamment dans le cadre d'une application web. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'ARIA est inutile, tout dépend de l'envergure du projet. Mais ARIA existe pour beaucoup parce que le Web moderne est d'un tel degré de complexité qu'il fallait bien une solution pour réorienter des utilisateurs ayant perdu leurs repères. Intention louable. La triste vérité, c'est que cette complexité, rarement justifiée, est... La principale cause des troubles d'accessibilité.

En créant des expériences de navigation plus sobres, et qui s'appuient sur la base de code logique, l'accessibilité devient un bénéfice collatéral de l'approche écoresponsable.

Elle n'en découle pas. Elle est respectée.

Et s'il reste des ajustements à faire pour parachever cet aspect de notre travail, nous y veillerons, précisément parce que l'inclusion nous est chère.

3. Web écoresponsable : une dimension éthique à considérer

Autant le respect de l'environnement et l'accessibilité détaillés dans les deux sections précédentes sont souvent des composantes associées aux services numériques responsables, autant l'introduction d'une dimension éthique dans la balance demande certains éclaircissements.

Revenons au site web écoresponsable, dont le but premier est de permettre d'obtenir un résultat donné le plus vite possible tout en mobilisant le minimum de ressources, pour comprendre. En creusant davantage en ce sens, il apparaît logique que retenir pour de mauvaises raisons les utilisateurs d'un service engendre des dépenses énergétiques que l'on peut qualifier de superflues. Être encouragé, par tous moyens, à prolonger l'utilisation d'un service au-delà de son propre intérêt n'est en effet ni responsable ni éthique.

Ce raisonnement est trop léger pour songer qu'éthique et écoresponsable ont à cohabiter en matière de solutions Web ?

Intéressons-nous au profilage et à l'analyse des comportements utilisateurs.

Le Règlement Général pour la Protection des Données (RGPD) entré en vigueur au sein de l'Union Européenne en mai 2018 a permis aux éditeurs et aux consommateurs du Web de s'interroger sur la confidentialité des informations personnelles circulant sur Internet. Problème : il n'est là question que de vie privée. Or recueillir ces données inquantifiables consomme de la bande passante à notre insu (au détriment des forfaits limités). Le stockage et le traitement qui leur est réservé sont bien entendu coûteux sur le plan énergétique.

Faire quelques relevés pour optimiser le parcours utilisateur d'un service en ligne n'est pas une mauvaise chose en soi. Il est louable de souhaiter mesurer la satisfaction de ses utilisateurs en vue d'améliorer l'expérience qui leur est proposée. Mais de vous à moi, que penser de ces données recueillies en masse, exploitées partiellement, et/ou dont le dessein est de servir des intentions inavouables ? Certains services vont jusqu'à transmettre des informations chaque seconde, sinon plus. Pour quelle valeur ajoutée ? Aucune ! Profiler et traquer les utilisateurs est énergivore. Ça l'est, dès lors que ces derniers n'y trouvent pas leur compte en retour.

Ma position sur le sujet est assez ferme, et incompatible avec certains business model douteux : limiter le phénomène à l'utile, s'en passer autant que possible.

Plutôt efficient, accessible ou éthique, votre site web écoresponsable ?

Les trois !

Réponse prévisible, j'en conviens. Mais satisfaire ses utilisateurs avec des moyens proportionnés tout en restant raisonnablement curieux n'a rien d'insurmontable. Mieux : efficience, accessibilité et éthique sont assurément de formidables ingrédients pour une expérience utilisateur au top. Raison de plus pour s'en préoccuper.

Ça tombe bien : je peux vous y aider.

Discutons-en.